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Saint Nicolas passera !

Saint Nicolas n’était pas passé ce matin.

Pas de mannele, pas de chocolat, pas de biscuits et encore moins de cadeaux.

Pour la première fois depuis 6 ans, et leur arrivée ici, Saint Nicolas, ne serait pas de la partie.

Laurie ne regardait pas le salon en désordre, ni sa mère affalée au milieu des bouteilles autour d’elle.

Les effluves qui lui parvenait jusqu’aux narines lui indiquait qu’elle avait bu, jusqu’à en vomir. Parfois, elle n’arrivait même pas au wc , mais pas de trace douteuse sur le canapé ou ailleurs. Ce serait plus simple …

Elle alla  dans la cuisine, ouvrit les placard, et chercha des yeux ce qu’elle pourrait faire pour le petit déjeuner de ses sœurs et de son frère. Pas grand chose en vrai. Ni lait, ni céréales, ni pain. Juste des chips, de la vinasse en cubi, de la bière et quelques conserves que le secours catholique leur avait donné.

On était le 6 et la Caf était surement sur le compte. Il fallait qu’elle fasse vite. Surtout que vu l’état de sa mère, personne n’irait à l’école aujourd’hui.

Elle pris un sac poubelle, ramassa les bouteilles de bière, de vin ici ou là. Nettoya rapidement la salon, et passa un coup de javel dans les wc . Le tout, en silence, pour ne pas réveiller les autres.

Du haut de ses 14 ans, elle avait pris l’habitude de se lever avant tout le monde, de faire vite pour que le désastre visuel du matin, n’atteigne pas les plus petits et quand elle le pouvait, de s’occuper des courses avant que sa mère n’ait tout dépensé.

En s’habillant, elle pensait au temps où sa mère n’était pas comme ça. N’était pas une alcoolo. Une larve devait la télé toute la journée. 

Ils avaient quitté l’Alsace et leur père après le divorce . Il était aux abonnés absents depuis tout ce temps.

« Pas de nouvelles, bonnes nouvelles » disait sa mère.

Ils avaient quitté une maison, pour un appartement en HLM. Au départ, ça allait plus ou moins bien.

Les fins de mois étaient durs, mais ils mangeaient à leur faim. Leur mère avait trouvé un job de caissière chez Lidl . Tout doucement ,leur vie s’était mise à changer. Et la goutte d’eau, c’était quand elle s’était fait virer, il y a un an. L’argent manquait. Et les repas « lait chaud » sans rien, s’accumulaient. A vrai dire, parfois on ne faisait qu’un repas et heureusement ses soeurs et son frères mangeait à la cantine. Mais personne ne se plaignait. Les autres ne voyait pas que l’argent partait dans l’alcool. On pensait comme elle avant, qu’elle n’avait rien. Une fois, elle avait ouvert les lettres qui s’accumulait, et sur le relevé du Crédit Lyonnais de sa mère, elle avait lu qu’elle recevait son pôle emploi, et la caf. Et elle avait aussi remarqué les cb du bar le Royal, les achats chez Lidl  et à la supérette. Elle avait fouillé le sac de sa mère, et trouvé les tickets de caisse qu’elle jeté au fond . Bière, wisky, vin … 

Depuis qu’elle restait à la maison, c’était la descente aux enfers pour elle, et surtout pour eux.

Laurie ne savait plus quoi faire pour l’aider. L’assistante sociale du collège avait fait un signalement.Les maîtresse des jumelles aussi. Et son frère séchait pour trainer avec les mecs de la cité.

Laurie loupait tellement de cours, qu’elle ne suivait plus. De toute façon à quoi cela servait d’aller au collège  et d’avoir son brevet ?

Hier Nancy, lui avait raconté la conversation qu’elle avait entendu, pendant qu’elle attendait sa mère au bar . Elle avait passé la soirée à lui expliquer que ce n’était pas sa la faute de sa mère. Ni celle de la vipère qui sifflait. Elle avait fait une soirée cabane. Tous dans sa chambre, sauf son frère qui à12 ans, se prenait déjà pour un grand. Et on regardait un film sur l’ordinateur au chaud sous la couette. Un beau film pour que les petites puissent rêver…

Elle attrapa son bonnet, fourra le porte monnaie de sa mère dans sa poche, et pris le sac poubelle pour le déposer dans la benne en bas. Le bruit des bouteilles tintait comme des cloches dans l’escalier. Elle ouvrit le container et les jeta, en criant « paniiiiiiiierrrr », comme si elle jouait au basket.C’était le rituel du matin, qui mettait en forme, celui qui cache ou efface la réalité de leur vie. Elle se sentait si légère après.

D’un pas rapide, se dirigea vers la supérette pour faire quelques courses pour le petit déjeuner:  du pain frais, quelques clémentines pour le goûter,  et surtout de quoi faire des Mannele avec les enfants, et du chocolat pour Saint Nicolas . Elle avait trouvé la recette sur le site de Chef Simon. Elle se souvenait des Mannele de Mamie Zabeth, toujours accompagnés de mandarines ou d’oranges.

Elle marchait légère comme l’air, sautillant presque à chaque pas.

Saint Nicolas passera !

Sans se douter une seconde que Odette comme tous les matins avait suivit la scène derrière les rideaux de sa cuisine d’un air réprobateur. Ni que Monsieur Jacques, était derrière elle , pour sa sortie café-tiercé-école du matin.